[Réalisé]Un -énorme- détour

Anna cousait des lettres d'argent sur un mouchoir, tiré sur son support. Elle savait qu'au dehors, son fidèle Maître Protecteur ruminait sa colère. Le grand gallois au visage à moitié détruit par la marque d'une grande brûlure avait toujours haï la France avec véhémence. Son grand ennemi, celui qui l'avait défiguré à tout jamais était français et, dans un passé lointain, l'Angleterre et la France avaient fait la guerre à de nombreuses reprises. La princesse galloise se souvenait de sa méfiance première et comme il avait tout doucement été surpris de trouver chez elle des qualités qu'il n'aurait jamais songé associer à une personne venant de ce pays au sud de la Manche. C'était à peu près tout ce qu'elle pouvait deviné de ses pensées. De nature secrète, il s'était encore davantage renfrogner en découvrant que sous les dentelles et les soies de des robes de la Dame Intendant du Château de Pembroke battait le coeur épris d'une jeune femme. Hélas, là où la nature semblait s'éveiller au printemps d'un amour qui ne connaissait aucun pareil, il avait fait tempêter le plus amer hiver et imposer ses glaces aux corolles bourgeonnantes. Anna s'était tut et enfermée à double tour les mots qu'elle avait laissé échapper une seule fois. Ils s'étaient empressés de poursuivre leurs devoirs respectifs pour effacer le souvenir de son aveu, mais il subsistait un parfum entre eux, une tension difficile à déchiffrer. Frustration? Colère? Tristesse? Curiosité? La jeune femme avait renoncé à comprendre.

Pour parachever sa mélancolie, la Reyne de France avait trépassé dans des circonstances que la galloise ignoraient. Terminées les correspondances et les intrigues, elle devrait trouver un autre passe-temps. Pour ne pas briser sa couverture, Anna s'était résolue à ne pas se rendre aux funérailles, mais à honorer la souveraine lorsque personne ne regarderait. Une seule chose parvenait encore à porter un sourire à ses lèvres et s'était la douceur d'un tissu, la qualité d'une couture et le goût dans l'assemblage d'un vêtement. Après avoir fait parvenir une commande depuis sa lointaine Manchester à Paris avec ses mensurations, elle avait presque tout oublié de l'affaire jusqu'à ce qu'un pli lui parvienne en annonçant que sa commande était prête. Quelle coïncidence! C'était ainsi qu'elle s'était retrouvée là, à attendre avec une tasse de tisane dans le petit salon qu'on lui avait réservé. Nedefaron était resté dehors, soulagé de ne pas être obligé de la suivre dans pareil endroit. Un peu rustre le Maître protecteur? Certainement.

La porte s'ouvrit et la jeune femme s'empressa de se lever, lissant de sa main libre le tissu de sa robe alors que l'autre s'occupait à ne pas renverser de la tisane partout. Son expression lointaine et peut-être un peu incertaine prit de l'aplomb avec un sourire qu'elle aimait porter avec un peu n'importe quelle tenue et qui s'agençait bien à toutes les coiffures. Le premier élan d'Anna aurait été d'aider la couturière, mais voyant qu'elle avait fâcheusement une tasse encore accrochée à ses doigts, elle se ravisa. Avec quelques secondes de réflexion supplémentaires, la galloise en vint à la conclusion que de toute manière, Ayena aurait peut-être mal pris de se faire accompagner. Elle boitait, mais semblait encore très capable d'opérer seule. Anna fit une légère révérence en réponse à celle de la baronne, elle aussi avec les accents particuliers, un genre de parfum de la cours de France. Ces échos étaient désormais bien lointain, il lui paraissait. À l'époque, elle n'avait été qu'une marionnette entre les mains d'une femme sans merci, qu'une simple demoiselle que l'on ne se donnait pas la peine d'introduire. Aujourd'hui, elle évoluait à la cours anglaise qui avait des façons très particulières et très libérales de faire. Anna avait été plus d'une fois choquée, mais commençait doucement à s'y habituer.

Au moment où la directrice prit place, la galloise reposa son popotin dans son propre siège et sourit. Mission accomplie! Pas une goutte de renverser.

"J'avoue que je n'étais pas des plus enthousiaste à l'idée de faire un aussi long voyage, surtout qu'il requiert un inévitable passage sur l'eau et que, certainement au plus grand désarroi de feu ma mère, je n'ai pas le pied particulièrement marin."

Tout de même ironique que la première personne, une femme qui plus est, a maîtrisé parfaitement la navigation en Angleterre ait donné naissance à un rejeton qui avait en horreur tout ce qui tanguait, de la barque à la caraque. Au moins son Maître Protecteur avait su distraire son esprit avec ses histoires desquelles elle devait tirer des leçons sur la culture galloise et la façon de diriger sagement. Ce n'était pas une mince affaire!

"Cependant, j'étais fort soulagée et très heureuse de voir que la température française n'a pas changé drastiquement depuis mon départ. Si vous croyez qu'il pleut en Normandie, attendez de voir un automne anglais. Maintenant je comprends un peu mieux pourquoi la plupart des anglaises ont un goût sordide en matière de chaussures; c'est tout simplement pour éviter de gâcher inutilement des petits joyaux qui ne pourraient être portés qu'une fois à l'intérieur, forçant ces dames à se déchausser et se rechausser constamment. Mis à part cela, rien n'est venu troubler notre petit groupe."

Nedefaron préférait véritablement être à l'extérieur avec ce genre de conversation dont l'intérêt le dépassait complètement. Anna sourit à nouveau. En France, on échange toujours des banalités. C'est moins froid comme approche contrairement aux anglais qui entraient rapidement dans le vif du sujet. Son Maître Protecteur était toujours ainsi avec elle et s'irritait lorsqu'elle-même tournait trop longtemps autour du pot. La jeune femme était de surcroit très heureuse de pouvoir s'exprimer en français sans s'attirer les regards éberlués des gens.

"Comment le Royaume se porte-t-il en cette période de deuil, ma foi, bien hâtive?"