L'hiver se terminait doucement, morne et sans surprise. L'atelier vaquait, sans sa directrice qui s'était retirée depuis un bon bout de temps on ne savait trop où, sans laisser d'indications ni de consignes. Ornice, bonne élève, tenait donc la boutique dans la ligne dressée par la Baronne de Crussol, mais sans frivolité et avec plus de rudesse que ne l'aurait fait la Talleyrand. Fallait dire qu'elle était partie de rien, Ornice, et que petit à petit, formée avec doigtée, elle commençait à s'en sortir pas trop mal : et pour dire, depuis qu'elle gérait la boutique, aucune dette non honorée et un carnet de commande respectablement rempli.
Ce jour d'hui, Ornice en était à se demander quelle décoration elle allait ordonner pour le printemps et si ce n'était point là une dépense inutile lorsque quelqu'un se présenta à l'atelier. Pas n'importe quel "quelqu'un" ! Cette tronche-là, elle la connait. Pas intimement. Mais assez pour ne pas faire d'impair à l'accueil.
Elle s'incline.
- Votre Altesse. C'est toujours un plaisir !
Comme il entre dans le vif du sujet sans même qu'elle n'ait le temps de se féliciter intérieurement pour la superbe révérence qu'elle vient de faire, la vendeuse auto-proclamée "cheffe interim", répond en remuant le bout de son nez, signe d'une certaine nervosité : elle sait présenter les galeries, parler tissus, conseiller, flatter les courbes, broder un peu, tenir les comptes,... Mais "mécéner", nan. Jamais fait.
- Bien sûr que c'est possible. Que serait un atelier sans Mécène ?
Sourire maladroitement élégant, pour ponctuer et...
- Pourrions nous aller nous installer ailleurs pour en parler ?
Elle l'invite dans l'arrière boutique, lieu des salons privés. Discrètement elle fait signe à une vendeuse de prendre son relai à l'accueil.
- Que Son Altesse veuille se mettre à l'aise...
Des fauteuils, sur la droite, une fenêtre à gauche. Un secrétaire dans le fond, avec de quoi rédiger. Rien de tape-à-l'oeil, tout juste assez raffiné, l'endroit est agréable.
- Alors, hum... S'agit-il d'une aide ponctuelle ou bien Son Altesse souhaite t-elle investir plus durablement dans l'Art ?